29/04/2019
Taylor Brown : Les Dieux de Howl Mountain
Taylor Brown est né en 1982 en Géorgie, dans le sud des Etats-Unis, puis il a vécu à Buenos Aires et San Francisco avant de s’installer en Caroline du Nord. Les Dieux de Howl Mountain, son troisième roman, vient de paraître.
En 1952, un bled de montagne en Caroline du Nord. Rory Docherty est revenu de la guerre en Corée avec une prothèse pour remplacer sa jambe, il habite avec sa grand-mère maternelle, Ma, depuis que son père a été assassiné et sa mère traumatisée à la rendre muette, puis placée en hôpital psychiatrique. Son job, livrer aux bars louches et clandés du secteur, le bourbon distillé par Eustace. Cette vie assez étriquée s’illumine quand il tombe amoureux de Christine, fille du pasteur de l’Eglise de la Lumière Nouvelle. Mais le bonheur est une chose fragile quand d’un côté le shérif et un agent fédéral cherchent à le pincer avec sa cargaison de gnole, et qu’un jeune chef de bande, Cooley Muldoon, lui en veut à mort après s’être fait humilier.
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Dans ce bouquin, comme dans le cochon, tout est bon. Prenons l’intrigue, que dis-je, les intrigues, car elles sont nombreuses : guerre de monopole pour alcool clandestin (Eustace), rancune personnelle (Cooley), amour (Christine), secret familial et vengeance (qui est responsable de ce qui est arrivé aux parents de Rory ?) Un seul de ces sujets suffisait à faire un livre, Taylor Brown les amalgame avec talent pour en tirer un roman dense et puissant.
Tous les personnages sont attachants ou mémorables, qu’ils soient bons ou méchants. Outre Rory, jeune gars abîmé physiquement, hanté par les horreurs de la Corée et sa quête de vérité sur le sort de ses parents, devant affronter les forces de l’ordre (pas vraiment irréprochables non plus) tout en tentant maladroitement de conquérir le cœur de sa bien- aimée aux yeux verts, l’autre grand acteur du roman c’est indiscutablement Ma. Guérisseuse ou sorcière, elle mitonne remèdes et poisons avec les plantes, fume la pipe et n’a peur de rien ayant tout vécu : jadis elle s’est prostituée pour nourrir sa fille, aujourd’hui elle est épisodiquement la maîtresse d’Eustace, l’imposant chauve et barbu grand manitou des alambics du coin. Je vous laisse découvrir les seconds rôles, comme le pasteur qui ne l’a pas toujours été…
Il y a déjà là matière à se réjouir, une sacrément bonne histoire, pleine et grasse à s’en lécher les doigts. Nous y ajouterons une écriture ou un style, tout à fait remarquable, concourant à assurer le liant entre tous les éléments narratifs. Taylor Brown prend son temps pour distiller son jus, même dans les scènes sensées être rapides (poursuites ou course automobile). Là aussi l’écrivain fait dans le gras ou l’épais tout en restant léger néanmoins (tout le contraire de ceux qui ont opté pour l’épure, le texte squelettique, l’os ultime), les descriptions abondent et quelque en soit le sujet Taylor Brown semble en connaitre un rayon (les plantes, la mécanique etc.) capable de nous faire vivre dans ces lieux et cette époque comme si nous y étions. Les bonnes répliques abondent (« - Tu as quand même passé une bonne soirée ? demanda-t-il. – J’en ai connu des meilleures. – Avec Eustace ? – Non, avec un épi de maïs. »). Bref, on se régale.
Beau, émouvant, triste, inquiétant, révoltant… le lecteur passe par une large palette de sentiments et quand il referme le livre, convaincu de sa très grande qualité, il s’interroge très excité : n’est-ce que feu de paille ou la naissance d’un futur grand écrivain ?
« Chaque jour de sa vie, jusqu’à ce que l’hôpital psychiatrique la lui prenne, sa fille avait eu de quoi manger, qu’importent les péchés que ça lui coûtait. Ensuite, elle avait pris soin de Rory. C’était pour le protéger qu’elle avait suspendu des bouteilles dans l’arbre. Quand il était parti en Corée, elle n’avait jamais cessé de prier. Pas le dieu des églises, mais le sien propre. Celui qui siégeait pas loin, peut-être plus haut dans la montagne. Car c’était là une demeure idéale pour un dieu, bien plus qu’un bâtiment ou un livre. Ici, on la comprenait. Elle était rusée, bien sûr, mais pas hypocrite. Toute sa vie, elle s’était battue comme une bête. Le Christ ensanglanté, cloué nu et hurlant sur la croix – les os fendus par le fer de la lance, le corps fouetté jusqu’à la chair -, était un dur au mal. Pour sûr, il avait du cran, un cœur de fauve. Comme elle. Tout le reste, elle n’en avait rien à faire. »
Taylor Brown Les Dieux de Howl Mountain Albin Michel – 371 pages – (A paraître le 2 mai)
Traduit de l’américain par Laurent Boscq
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